CCR
Conseil canadien pour les réfugiés

 
 
Le 26 octobre 2006
 

 
Le très hon. Stephen Harper
Premier ministre  du Canada
Cabinet du Premier ministre
80, rue Wellington
Ottawa, K1A 0A2

 
 
   
Monsieur le Premier Ministre,
 
            Je vous écris afin de vous aviser des préoccupations du Conseil canadien pour les réfugiés relatives à la décision d’armer les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada, telle que vous l’avez annoncée le 31 août dernier.  Nous croyons que cette décision aura plusieurs conséquences négatives.
 
            Les représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) sont les premiers à rencontrer ceux et celles qui arrivent au Canada.  Qu’ils soient des Canadiens qui rentrent au pays, des visiteurs, des réfugiés ou des immigrants, ceux qui se présentent à la frontière devraient être accueillis par un représentant du Canada qui incarne les valeurs de l’hospitalité.  Un agent qui porte une arme à feu communiquera au contraire une attitude initiale de suspicion et d’hostilité, laquelle en décevra et déroutera plus d’un.  Nous ne voulons pas que la première impression des immigrants qui s’installent au Canada soit celle d’un agent qui porte une arme à feu. 
 
Nous remarquons que les personnes qui demandent l’asile à la frontière sont interviewées par des agents de l’ASFC qui décident de la recevabilité de la demande et en conséquence si celle-ci sera entendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.  Nous nous préoccupons particulièrement de l’impact sur les réfugiés, dont beaucoup ont de très bonnes raisons de craindre la violence de la part des personnes représentant l’autorité.  Pour ceux et celles qui ont vécu la répression par l’État, la vue d’un douanier armé peut provoquer des traumatismes et rendre plus difficiles les réponses aux questions qu’on leur pose, y compris des questions relatives à leur demande d’asile. 
 
            Nous sommes bien sûr conscients du besoin d’assurer la sécurité des agents à la frontière.  Cependant, nous ne sommes pas convaincus qu’il a été adéquatement démontré que les agents sont en fait à risque à la frontière, ou bien, s’ils le sont, que le port d’armes devrait être préféré aux autres options à notre portée.  Nous constatons que le port d’une arme pourrait dans les faits augmenter les risques de violence et pourrait donc peut-être réduire, plutôt qu’augmenter la sécurité des agents, ainsi que celle des personnes autour d’eux.
 
            Nous percevons le fait d’armer les agents de l’ASFC comme un pas vers la militarisation de la frontière, ce qui en ferait un site de conflit et de violence potentiels, alors qu’elle devrait constituer un lieu d’échanges et de rencontres créatifs.
 
            Les membres du CCR ont eu de nombreuses occasions de côtoyer les agents frontaliers et nous sommes conscients que plusieurs d’entre eux sont motivés par un désir de travailler au service des autres et par le goût de s’impliquer auprès des immigrants originaires de tous les coins du monde.  Pour certains du moins, il est difficile de conjuguer le port d’arme avec ce genre de motivation.  Nous désirons savoir si le port d’arme sera imposé aux agents de l’ASFC pour pouvoir continuer à travailler pour l’Agence.  Est-ce qu’une carrière au sein de l’Agence sera limitée par le choix de ne pas porter d’arme?
 
            La question de la motivation soulève également pour nous des préoccupations relatives au recrutement futur de l’Agence.  Le CCR s’est déjà préoccupé des conséquences à long terme de la division entre Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et l’ASFC.  Actuellement, de nombreux agents de l’ASFC sont des personnes recrutées par CIC, qui sont entrées en poste avec l’engagement d’être au service des immigrants.  Avec les années, ce lien s’affaiblira, avec l’augmentation de la proportion d’agents de l’ASFC qui aura choisi d’intégrer une agence principalement vouée à l’exécution de la loi.  Le fait d’armer l’ASFC renforcera cette tendance, puisque les futures recrues seront des personnes attirées par un emploi qui comporte le port d’une arme.  La capacité de l’ASFC de maintenir un équilibre adéquat entre l’exécution de la loi et la facilitation sera mise au défi au fur et à mesure que le personnel de l’Agence sera dominé par des personnes qui se considèrent des agents d’exécution de la loi, avec de moins en moins de personnes qui se considèrent agents d’immigration.
 
            Nous nous posons des questions quant à savoir lesquels des agents des services frontaliers seront armés. Le gouvernement prévoit-il armer les agents qui travaillent aux aéroports?  Étant donné les mesures de sécurité strictes imposées dans tous les aéroports, ne peut-on pas présumer que les voyageurs qui arrivent par avion ne portent aucune arme?  De la même façon, les agents qui travaillent dans les centres de détention n’ont aucune raison d’être armés.
 
            La décision d’armer les agents frontaliers renforce notre préoccupation quant à l’absence de mécanisme de plainte externe pour l’Agence des services frontaliers du Canada.  Il est normal au Canada pour les organismes dotés de pouvoirs d’arrestation et de détention d’être supervisés par des mécanismes externes.  L’ASFC n’a aucun tel mécanisme.  Or, ceux qui font l’objet d’une action d’exécution de la loi de la part de l’ASFC sont parmi les personnes les plus vulnérables au Canada.  Sans statut permanent au Canada, sans les réseaux de soutien et sans une connaissance approfondie des systèmes canadiens, souvent ni anglophones ni francophones, ils ont peu de capacité de défendre leurs droits.  Dans le cas de personnes déportées, leurs chances de poursuivre quelque recours que ce soit en cas d’abus sont minimes.  Le déséquilibre de pouvoir entre le non-citoyen et l’agence d’exécution de la loi est donc énorme – il l’est d’autant plus si les agents sont armés.  Un tel déséquilibre de pouvoir crée des risques d’abus.  Un mécanisme de supervision efficace et indépendant est essentiel afin d’assurer non seulement qu’il n’y ait pas d’abus de pouvoir, mais également qu’on puisse démontrer publiquement qu’il n’y en a pas.
 
            Il apparaît, à la lecture de ces propos, que nous nous préoccupons profondément de la décision d’armer les agents frontaliers.  Elle n’est pas à l’image d’un Canada dont les rapports avec le monde extérieur sont inspirés par un désir de s’impliquer de façon ouverte et constructive.  Nous vous demandons de réexaminer votre decision.
 
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma très haute considération.
 
 
Elizabeth McWeeny
Présidente



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